Seul le silence
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l’avis des lecteurs
Parce que vous avez naïvement lu la 4ème de couverture, vous croyez que vous allez vous plonger dans une sombre histoire de meurtres en série... et puis R.J. Ellory vous prend par la main pour, tout doucement, vous faire partager l'intimité de son héros et narrateur, Joseph Vaughan. Attention, cela n'empêche pas cette histoire d'être sombre, l'existence de Joseph semblant n'être qu'un interminable cauchemar dont il ne parvient pas à s'échapper, et qui englue le lecteur. En effet, il perd, dans diverses circonstances, tous les êtres qui lui sont chers, et porte en lui l'écrasante culpabilité de n'avoir pu empêcher l'assassinat d'une dizaine de fillettes dont il fut plus ou moins proche étant enfant puis adolescent. A cette époque, il vit à Augusta Falls -Géorgie- et la Seconde Guerre mondiale fait entendre son triste et lointain écho depuis l'Europe. En digne population de petite ville, celle d'Augusta Falls, traumatisée par le meurtre de ses enfants et aveuglée par la peur, fait preuve de méfiance et d'injustice envers ceux qui sont différents. Et Joseph l'est, différent. L'éducation qu'il a reçue de sa mère et l'attention que lui prodigue son institutrice lui ont permis de développer son ouverture d'esprit, et ces deux femmes vont de plus l'encourager à s'engager sur la voie de l'écriture pour laquelle il a de belles prédispositions. Autant d'éléments qui peuvent être considérés comme des qualités, mais qui font de lui un être particulier aux yeux de concitoyens ignorants et hypocrites.
Plus que les événements, pourtant dramatiques, qui jalonnent le récit, c'est l'impact de ces événements sur le personnage principal qui importe ici. De la naissance de sa vocation d'écrivain à ses efforts désespérés pour construire sa vie en dépit de la succession de malheurs qu'il subit, il égrène ses souvenirs, détaille ses cauchemars et ses angoisses de telle sorte que le lecteur a l'impression de pénétrer dans ses pensées les plus profondes, créant une troublante sensation d'intimité. C'est une immense mélancolie qui se dégage de ce roman, dont la lecture provoque un sentiment d'impuissance -presque de frustration- à l'évocation de ce monde où la volonté de faire le bien n'est pas une garantie de reconnaissance.
1939 dans une petite ville de Georgie. Alors que les rumeurs des horreurs en Europe filtrent à peine, la petite ville est secouée par la découverte du cadavre d’une gamine d’une dizaine d’années qui a été violée avant d’être tuée. Joseph Vaughan la connaissait bien, il était en classe avec elle. Quand dans les comtés alentour les viols et les meurtres se multiplient la panique et la colère gagnent. Joseph s’organise avec quatre copains pour patrouiller la nuit, la trouille au ventre. Les adultes eux cherchent un bouc émissaire. Ils finiront bien entendu par le trouver … Quelques années et bien des malheurs plus tard Joseph quittera sa ville pour aller à New York et commencer à écrire. Mais, alors même qu’il pense lui avoir tourné le dos à tout jamais, le passé le rejoindra, de la plus douloureuse façon.
Pour commencer, voilà ce que ce roman n’est pas. Ce n’est pas, en dépit de ce que peut laisser croire le résumé, un polar formaté de plus sur le thème, mainte fois rebattu, du serial killer. Et ce n’est pas, malgré la dédicace à Truman Capote, un nouveau De sang froid.
Si l’on a effectivement un serial killer dans le roman, le sujet est ailleurs. Pas de traque ici, pas, ou peu de suspense à la Michael Connelly (sauf, un peu à la fin). Le propos est autre. Ellory a écrit un roman très noir sur la culpabilité, les traumatismes et l’imaginaire de l’enfance, mais également sur la difficulté d’être différent dans une petite ville, sur le déracinement … De très nombreuses thématiques, traitées avec finesse et beaucoup d’empathie, qui donnent une tonalité à la fois sombre et très émouvante à ce beau roman noir.
Pour ce qui est de Truman Capote … De sang froid est un roman implacable, d’une noirceur glaçante, sans la trace d’une « prise de position », dans lequel l’auteur ne s’implique jamais en tant que narrateur, observant tout (bourreaux et victimes) d’une position totalement externe. Ellory, au contraire, nous plonge en plein cœur du drame, dans la tête d’un personnage qui lui, se sent, à tord ou à raison, totalement impliqué. Ce qui n’enlève rien, ni à Capote (!) ni à Ellory. Ce sont juste deux grands romans, aussi différents que l’on peut l’être à partir d’un sujet en apparence semblable.
S’il fallait chercher des paternités, je pencherais plutôt du côté de La nuit du chasseur de Davis Grubb, pour le rôle central de l’enfance, pour la description de l’emprise étouffante de la religion et du regard des autres dans une petite ville rurale, pour l’angoisse des scènes de nuit … Une référence tout aussi prestigieuse que celle de Capote, et qui n’écrase jamais le roman d’Ellory. C’est dire.
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