À petit feu

Lire ce roman d’Elizabeth Jane Howard, c’est comme retrouver un bain chaud : on s’y glisse avec plaisir, avant de réaliser que l’eau est pleine de courants froids et de remous inattendus. Dès les premières pages, je me suis laissée happer par cette chronique implacable de la classe moyenne anglaise des années 60, où les conventions sociales pèsent lourd sur les épaules des femmes.

Elizabeth (étrange choix, d’ailleurs, que de donner à son héroïne le prénom de l’auteure) quitte un foyer étouffant, peuplé de figures sinistres : une mère effacée, un beau-père abject, un frère manipulateur et une demi-sœur déjà engluée dans un mariage toxique. Le seul personnage masculin fréquentable est Claude… un chat. Et pourtant, j’ai adoré. J’ai adoré la manière dont Howard déploie ses scènes, avec ce style limpide et ironique, cette façon de basculer sans heurts d’une narration distante à une plongée dans l’intimité d’un personnage, comme dans cette scène de fête poignante avec Alice, que j’ai trouvée à la fois insupportable et bouleversante.

Malgré la galerie de personnages odieux ou faibles, j’ai été captivée. J’avais envie de hurler aux femmes de fuir, de les secouer, mais je comprenais aussi leur résignation, leur enfermement. Le roman m’a touchée par sa justesse, sa cruauté feutrée, son humour au vitriol. La fin m’a semblé tout à fait juste, imprévisible, glaçante, et pourtant inévitable.

Je n’ai pas seulement lu une satire, j’ai lu un roman profondément humain, sombre mais lumineux par éclats. Un portrait grinçant de ce qui fait les mariages ratés, les vies compromises, les existences enfermées. Et malgré tout, j’en redemande. L'autrice ne console pas, elle montre. Et c’est, pour moi, ce qui la rend si puissante. Bonne lecture !