
Les Sentiers de la guerre Tome 3 Le flambeau
Rupture éditeur
l’avis des lecteurs
Je crois pouvoir avancer l’hypothèse que je possède un instinct de conservation à l’acuité discutable, ce n’est pas nouveau. Quantique, d’une certaine manière, oserais-je ; c’est quand je l’examine que j’arrive à lui trouver une existence concrète, mais toujours trop tard. Souvent après que son absence ait été particulièrement remarquée, ironiquement.
Comme aujourd’hui : je ne saurais absolument pas vous expliquer ni justifier mon choix de conclure la trilogie des Sentiers de la Guerre quelques jours avant Noël. Je ne saurais pas trouver le moindre argument justifiant de m’être replongé dans cette saga guerrière alors même que je savais pertinemment que l’ambiance qu’elle allait me proposer serait à l’opposé complet des sapins lumineux, des cadeaux cachés dans l’ombre de ses branchages, ou du repas du réveillon. Parce qu’après un premier tome déjà pas joyeux et un deuxième tome lui faisant suite avec une certaine densité, j’avais logiquement toutes les raisons de m’attendre à du sang, des larmes et de la sueur, mais du genre qui piquent.
Je ne sais pas ce qui m’a pris, honnêtement. J’ai pris ce bouquin comme s’il était temps que je m’y mette, mais en occultant complètement la possibilité qu’il me foute le moral à zéro.
Et franchement, c’est pas passé loin du tout. Mais, fort heureusement : Erwan Bergot, j’en suis désormais convaincu, était un excellent écrivain. Et du coup, je crois bien que ce troisième et dernier roman de la trilogie était son meilleur. Ce qui n’est pas peu dire.
En guise de résumé, je vais faire très simple, on reprend là où on s’était arrêté auparavant, et on brasse la fin de la présence française en Indochine pour ensuite aller du côté de l’Algérie. Et c’est là que vous pouvez deviner assez aisément pourquoi j’évoque les coups que mon moral a dû encaisser : fidèle à son approche extrêmement factuel et crue de la réalité de la guerre, Erwan Bergot n’y va pas de main morte pour nous en foutre plein la tronche. Mais, et c’est là le premier laurier que je veux lui décerner, si il écrit la guerre, il écrit surtout à propos de la guerre. Certes, on a droit à des scènes de pur combat qui feront sans doute plaisir aux aficionados pour ce qu’elles recouvrent de réalités techniques et d’expertise tactique, mais plus que jamais, nos personnages sont là pour nous rappeler que la guerre ce n’est pas que l’action, ce sont surtout les conséquences ce ces dernières. Et autant dire que quand on parle de guerres coloniales, et que l’auteur ne s’en cache absolument pas, ça fait pas semblant d’être dur ; pour ne pas dire, par moments, très dur. Mais là où c’est particulièrement fort, je trouve, c’est que ces moments les plus difficiles à encaisser ne font jamais dans le spectaculaire, au contraire. Erwan Bergot, sans doute trop conscient de de ce qu’il nous raconte, et probablement extrêmement amer et acide à ce propos, fait plutôt dans le feutré, le sournois. Le Flambeau est pour moi empoissé d’une tristesse, d’une solitude terribles, imprégnant chaque page, y compris les moments plus légers marqués d’une certaine fraternité ; les personnages de ce roman sont juste cassés, brisés, mentalement et physiquement malades de leurs années de crapahutages et d’épreuves, ballotés par la guerre. Et c’est assez saisissant à lire avec autant d’élégance dans le verbe, en même temps qu’autant d’intransigeance dans la narration.
J’en reviens à ça, encore une fois : je trouve assez exceptionnel de réussir à écrire la guerre et l’Armée à ce point comme un monde à part, dans lequel les soldats habitent, sans réel espoir de pouvoir revenir vers le vrai monde. Face aux décisions politiques ne dépendant jamais d’eux, ou d’une hiérarchie obéissant aveuglément à des ambitions qui les desservent aveuglément, les représentants de la Grande Muette ne sont que des pions, réduits à leur seul choix d’obéir ou non ; les options en dépendant étant souvent aussi puantes l’une que l’autre. Si j’ai pu grincer des dents face à ce que j’ai pu considérer comme une sorte d’apolitisme nonchalant et un peu lâche chez certains personnages se réduisant eux-mêmes à de simples machines à combattre sans états d’âme, force est de reconnaître que j’ai fini par reconnaître dans le plaidoyer d’Erwan Bergot une part d’irréductible vérité. Quand des personnages comme Tiercelin ou Morgan, après les avoir suivi pendant déjà deux bouquins et 15 ans de leurs vies, s’avouent à eux-mêmes qu’ils ne peuvent vivre qu’au combat, et donc au service de l’institution qui leur fournit ce combat, je dois les croire. Et dès lors, les seules valeurs qu’ils peuvent effectivement défendre ne dépendent que de ce paradigme injuste et infiniment douloureux. Et alors, la fraternité guerrière qu’ils défendent par dessus tout, elle fait d’autant plus sens. Y compris et surtout quand leur auteur leur fait vivre – et nous fait vivre – Dien Bien Phu ou certains événements particulièrement mémorables de la Guerre d’Algérie ; sans faux semblant ni mauvaise foi. Ou pas trop, du moins, sans doute explicable par une forme de corporatisme compréhensible de la part de celui qui a vécu une partie de ces histoires qu’il nous narre, et qui procède selon moi de cette volonté de promouvoir la fraternité guerrière. J’ai le sentiment que ce que défend Erwan Bergot n’est pas tant le fait d’abattre l’ennemi, mais d’empêcher l’ennemi d’abattre le camarade qu’on a à côté de soi.
C’est assez délicat à expliquer ou verbaliser, en réalité. C’est peut-être parce que j’ai suivi ces personnages au long cours et que leur auteur les a si bien écrits que j’éprouve envers eux tant d’empathie et de compréhension, en dépit de mes quelques réserves morales ; ou simplement parce que je me dis que depuis le confort de ma paix, je ne peux juste pas juger leurs guerres, qu’elles fussent matériels ou spirituelles. Ça et le fait que bon sang, cet auteur a le don pour écrire avec une économie de moyens rendant ses fulgurances lyriques et narratives d’une puissance terrible, rendant palpables certaines de ses séquences les plus importantes. Il y a notamment une scène au premier tiers du roman, j’ai du faire une pause, tellement elle m’a pas mis bien ; même en sachant à quelle genre de manipulation émotionnelle Bergot m’avait plus ou moins volontairement soumis. Mais c’était juste si bien écrit, bordel ; je voulais a minima prendre le temps de l’intégrer à plein et de m’en remettre.
Et puis il faut bien admettre autre chose : il me semble qu’il sait de quoi il parle, cet auteur. Je pourrais élaborer sur ses talents littéraires autant que je veux, il y a aussi fort à parier que l’impact que ce bouquin a eu sur moi dépend aussi du fait qu’il semble foncièrement honnête. Les errements moraux des personnages comme leurs atermoiements face aux oscillations de l’Armée et des décisions politiques de la IV République, face à la menace communiste comme face au soulèvement des fellaghas, me semblent terriblement sincères. Comme pour les tomes précédents, l’ennemi et les menaces, à l’image des alliés qu’on se trouve tout le long du chemin, sont aussi multiples que protéiformes, et c’est assez fort de parvenir à le rendre aussi précisément, sans jamais sombrer dans une zone grise qui ferait office de faux-fuyant. Erwan Bergot se contente de poser sur ce qu’il raconte son regard de soldat. Avec un style d’écrivain, et des fulgurances qui claquent comme une décharge de chevrotine.
En somme, c’était très impressionnant. Je me réserve certes la possibilité de revoir mon jugement moral sur l’ensemble de cette trilogie à la lumière d’éléments factuels si jamais on parvenait à me convaincre que je me suis laissé illusionner par la prose experte de son auteur ; mais en attendant, je vais tenir cette trilogie en très haute estime. Parce que j’y ai trouvé un regard unique sur des thèmes que je croyais jusqu’ici rebattus d’une manière inexpugnable, ainsi qu’un écrivain non moins singulier, dont j’ai envie de parcourir le travail, à la fois pour explorer plus avant son regard sur les thématiques qu’il traite, mais aussi pour continuer à me nourrir de son style littéraire décidemment fort séduisant.
Du coup, niveau moral, ça va, en fait. Les bons bouquins ont ça de bon.
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