L'illusion du mal

Le prologue nous met directement dans l’ambiance : Un pédophile qui a abusé d’une fillette des années durant est acquitté par une juge désolée parce que le dossier s’est enlisé et que le cas tombe sous le coup de la prescription. Les victimes sont dévastées, le public enragé et l’accusé tout sourire. mais ça ne durera pas, il se fait enlever et quelques jours plus tard, une vidéo intitulée « La loi c’est toi » montre le pédophile torturé et propose de voter dans les trois heures pour savoir s’il doit vivre ou mourir. Le ravisseur lui a arraché toutes les dents et les a remises à sa victime.

C’est le branle-bas de combat à la questure de Cagliari pour retrouver l’otage vivant et arrêter le criminel surnommé rapidement le Dentiste. Eva Crocce et Mara Rais, les héroïnes de L’ile des âmes sont rejointes par Vito Strega, le héros du Chant des innocents. Le trio aura fort à faire pour déjouer les plans du tueur soutenu par la majorité de la population, du moins par les internautes qui votent. Une star de la télé poubelle sur le retour se charge de chauffer le public qui n’en demande pas tant.

J’ai eu grand plaisir à retrouver ces héros dans ce thriller très efficace et addictif. L’écriture est dynamique, les chapitres courts donnent du rythme en faisant alterner les lieux et les protagonistes. C’est très cinématographique, d’ailleurs une adaptation est prévue, ce roman sans temps fera un excellent film. La seule chose qui m’a dérangée dans la forme est le recours continuel aux différents dialectes italiens dans les dialogues, certes c’est traduit en fin de chapitre, mais en caractère microscopiques que je n’arrivais pas à déchiffrer. Quelques phrases pour marquer l’origine des protagonistes ne seraient pas dérangeantes, mais là j’étais vraiment saturée. Il y en a presque à chaque page. En VO c’est peut-être intéressant pour les Italiens de constater les variations régionales de leur langue, mais en traduction, ça n’a aucun sens et c’est même casse-pied à force.

J’ai aimé suivre l’évolution des personnages, si Vito a un côté un peu cliché (beau, séduisant, super intelligent et plein de problèmes psy, comme tout bon héros de thriller), les deux femmes sont beaucoup plus intéressantes. Elles cachent leurs failles chacune à leur manière et même si elles s’asticotent sans arrêt, notamment sur leurs goûts vestimentaires complètement opposés, elles développent une belle amitié. Eva en particulier est un personnage touchant et Vito sait la déchiffrer, il fait son maximum pour l’aider. La culpabilité hante tous les personnages.

Par le truchement de ce thriller très réussi, Pulixi nous fait réfléchir sur la justice et ses failles, ce qui réveille le côté justicier qui sommeille en chacun de nous. Même si personne ne va jusqu’à tuer un criminel, on a tous eu l’impression une fois ou l’autre que la justice n’est pas juste, prend le parti des coupables et néglige les victimes. Une histoire de ce genre a secoué ma ville il y a deux ans : Une bande de jeunes voyous a agressé des personnes âgées pour leur voler leur sac ou leur portemonnaie, ils étaient mineurs et s’en sont sortis par une tape sur les doigts. Une autre bande de jeunes s’est improvisée justicier et a tabassé sérieusement les petites frappes, devinez qui a été le plus sévèrement condamné ! Certes on ne peut pas se faire justice soi-même dans une démocratie, toutefois le laxisme et les dérives de la justice sont une des causes du sentiment d’insécurité qui domine chez certains, ce qui permet la flambée du populisme qu’on observe actuellement en Europe. L’auteur traite aussi de la télé poubelle et des dérives des réseaux sociaux, souvent vecteur de haine et de racisme car les gens se sentent protégés par l’anonymat. Ce thriller est une excellente fable sur les dérives de notre société. il serait absolument parfait s’il était entièrement traduit ! Je ne vais pas tarder à lire le troisième tome de la série, ce sera la prochaine étape de ma chasse aux trésors (Challenge mauvais genres).